samedi 11 août 2007

Un peu plus d' informations sur nos activités de recherche

Bonsoir,

En allant aujourd'hui sur mon blog pour préparer la prochaine rentrée, je réalise que je ne vous ai donné que peu d' informations sur les activités de recherche menées dans notre laboratoire universitaire (UMR 8149 CNRS) et dans le laboratoire hospitalier dont j'ai la responsabilité au Centre René Huguenin de Saint-Cloud (Laboratoire d'oncobiologie). Je profite donc de cette période estivale pour vous donner ces quelques informations.

Des laboratoires « atypiques »…
Notre laboratoire universitaire est «atypique » pour au moins deux raisons. La première est son faible effectif puisqu'il n’est composé que de cinq enseignants chercheurs (Pr Pierre BEDOSSA, Pr Dominique BELLET, Pr Valérie PARADIS, Pr Thierry POYNARD, Dr Virginie DANGLES-MARIE), d’un chercheur CNRS (Dr Dominique ZELISZEWSKI) et d’un ingénieur CNRS (Sophie RICHON). La seconde est que les cinq enseignants chercheurs ont tous des fonctions hospitalières et partagent donc leur temps entre l'université et l'hôpital.

Mon laboratoire hospitalier est également « atypique » puisque c'est le seul laboratoire de biologie spécialisée d'un centre de lutte contre le cancer à être inclus dans un service d'imagerie médicale, en l'occurrence celui de médecine nucléaire du Dr Alain PECKING au Centre René Huguenin. Ce laboratoire est entièrement dédié aux dosages des marqueurs biologiques de cancer, dosages utilisés pour la détection et la surveillance des cancers.

Les thèmes de recherche…
Notre laboratoire universitaire comprend trois équipes:
§ celle dirigée par Pierre BEDOSSA travaille sur la physiopathologie des maladies chroniques du foie,
§ celle dirigée par Thierry POYNARD travaille sur la fibrose hépatique, son histoire naturelle, son diagnostic et son traitement
§ celle dont j'ai la responsabilité travaille sur les métastases hépatiques et sur leur diagnostic.

Mon laboratoire hospitalier, en parallèle à son activité de biologie clinique, est spécialisé dans le développement de nouveaux marqueurs biologiques pour la détection et la surveillance des cancers.

Les résultats en recherche…Une étude vient d'être publiée sur les résultats de la recherche biologique et médicale en France. Cette enquête dont la grande presse s'est faite écho (vous pouvez par exemple consulter un article paru dans LES ÉCHOS le 23 juillet et accessible à l'adresse suivante:
http://www.lesechos.fr/info/sante/4602748.htm) est très instructive.
Nous savions déjà que, dans notre laboratoire universitaire, Thierry POYNARD était le chercheur le plus productif : d’après la base de données bibliographiques PubMed qui recense toutes les publications scientifiques des chercheurs, Thierry a 392 publications. (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/entrez/query.fcgi?DB=pubmed). Par comparaison, je n'en ai que 134 ce qui veut dire que, lorsque je publie un article, Thierry en publie trois ! De plus, un article de Thierry publié dans le Lancet en 1998 (Lancet.1998. 352/1426-1432) a été classé en 2001 comme le cinquième article le plus cité en médecine.
L’étude récemment publiée porte sur les travaux de 12000 chercheurs français et nous apprend que Thierry POYNARD est classé dans le Top 50 des meilleurs chercheurs puisqu'il est en 23ème position. Il est également intéressant de noter que les deux chercheurs placés en première et en seconde position sont respectivement Arnold MUNNICH et Alain FISHER, tous les deux professeurs dans notre université Paris Descartes. Le chercheur placé en cinquième position est également un professeur de notre université, Bernard ROQUES, qui est professeur à la faculté des sciences pharmaceutiques et biologiques de Paris.

De la recherche à l'innovation ...
Cette semaine sont parus les chiffres du commerce extérieur français et vous pouvez vous demander pourquoi je vous en parle aujourd'hui. Il apparaît que notre balance commerciale est déficitaire puisque le solde semestriel est déficitaire de plus de 15,4 milliards d'euros. D'après le secrétaire d'État en charge du commerce extérieur, Hervé NOVELLI, une des raisons qui explique ce déficit est très clairement un déficit d'innovations et donc un déficit en nouveaux produits susceptibles d'être vendus hors de France par nos entreprises. D'où la nécessité pour le Secrétaire d'État comme pour notre Président ou pour notre Premier Ministre de soutenir la recherche qui est à la base des innovations.

Dans ce contexte, comment se situe notre laboratoire de recherche ? S’il est actif en recherche, participe-t-il également à l'innovation et à la valorisation ? Rappelons que la valorisation est la deuxième mission de la recherche publique aux termes de la loi de 1982 (D’après « La gestion de la recherche publique en sciences du vivant » Rapport de la cour des comptes, Mars 2007)

Avant de situer notre laboratoire, précisons d'abord ce que l'on entend par innovation : « L’innovation se distingue de l’invention en cela que la seconde peut être une idée brillante, mais que la première n’existe que si elle s’incarne. Dans le monde économique, on ne parle d’innovation que si celle-ci va jusqu’au marché » (D’après «Ce que je crois» d’Hervé Sérieyx.)

Alors sommes-nous simplement un laboratoire de recherche ou également un laboratoire innovant ? Pour en juger, il suffit de regarder le nombre de brevets obtenus par les chercheurs du laboratoire (il s'agit du nombre de brevets obtenus et non du nombre de brevets déposés puisque, comme les publications, il ne suffit pas de soumettre un brevet, il faut également qu'il soit accepté et publié). Autre critère encore plus important, il faut regarder le nombre de produits innovants issus des brevets. Ce critère est beaucoup plus drastique puisque moins de 0,6 % (0,56 % pour être exact) des brevets conduisent à un produit innovant (D’après Research Technology Management et « L'innovation : une démarche collective ».Les Échos, 4 novembre 2003).

Dans le domaine de l'innovation comme dans celui de la recherche, notre champion est encore Thierry POYNARD avec cinq brevets et cinq produits sur le marché (tests de diagnostic non invasifs pour la prise en charge et le traitement de patients) soit un score de 100 % de produits développés par brevet ! En termes d'innovations, mon propre score n'est pas si mal puisque j'ai actuellement 15 produits sur le marché (tests pour la détection et la surveillance de cancer, pour le dépistage de trisomie 21 et pour le diagnostic de sepsis) pour 18 brevets soit un score de 83 %, ce qui reste encore au-dessus du chiffre moyen de 0,56 %. Pour Thierry comme pour moi, nos produits sont distribués dans le monde entier, Europe, États-Unis, Amérique du Sud, Asie...

Quels enseignements les étudiants peuvent-ils tirer de notre expérience en recherche et en innovations ?
Quelques enseignements peuvent être tirés de notre expérience en termes de recherche et d'innovations. De façon intéressante, j'ai dû faire dans le cadre du congrès EUROCANCER qui s'est récemment tenu à Paris, une revue sur la recherche sur le cancer au cours des 20 dernières années. A cette occasion, je me suis intéressé aux éléments essentiels qui conduisent à de réelles découvertes et à de vraies innovations. Plusieurs enseignements tirés de l'observation de chercheurs « innovants » sont en adéquation avec notre propre expérience. Sans vouloir trop généraliser, les avancées sont souvent le fait de chercheurs ou plutôt de « trouveurs » « atypiques », persévérants, bénéficiant d'un espace de liberté et travaillant à l'interface entre les disciplines. Pour ceux qui connaissent toutes les facettes de Thierry POYNARD, ce profil lui convient parfaitement puisqu'il est à la fois un expert en hépato-gastroentérologie… et en biomathématiques. De mon côté, j'ai toujours travaillé à l'interface entre l'immunologie et la cancérologie, ce qui m'a amené à développer des tests immunologiques utilisés en cancérologie… mais aussi en pathologie infectieuse et en gynécologie obstétrique. Si travailler à l'interface entre les disciplines est indubitablement une source d'innovations, ce mode de fonctionnement est encore peu intégré dans le monde universitaire où il est préférable d'appartenir à une seule discipline. Ainsi, les autorités de tutelle de notre pays ont parfois quelques difficultés à classer notre laboratoire qui n’est ni un « pur » laboratoire d'immunologie ni un « véritable » laboratoire de cancérologie. Notre positionnement est cependant logique puisque, depuis 20 ans, nous avons volontairement fait le choix de travailler à l’interface entre les différentes disciplines : immunologie, cancérologie, hépato- gastroentérologie, biomathématiques ou biologie cellulaire. À l'extérieur de l'université, la reconnaissance d'un laboratoire qui travaille aux interfaces entre les disciplines est plus facile, notamment auprès des patientes et des patients : légitimement, nos malades sont d'abord intéressés par les innovations dont ils peuvent bénéficier et ne se préoccupent pas de la discipline qui est à l'origine de l'innovation. Le monde politique, à l'écoute des citoyennes et des citoyens, et le monde industriel, sont bien entendu réceptifs à l'innovation et comprennent facilement notre positionnement. Les travaux de recherche que j'ai menés m'ont donné le plaisir de recevoir en Italie et en présence du Président de la République, un prix prestigieux de l’« Accademia Nazionale dei Lincei » (équivalent de l’Académie française), le Prix international Arnaldo Bruno. Quant aux tests que nous développons, ils sont fabriqués par des sociétés françaises, allemandes, japonaises et le seront bientôt par une société suisse. Pour eux, peu importe la discipline, seules comptent les capacités innovantes.

L'autre enseignement qui peut être tiré de notre expérience est l'importance de la recherche fondamentale. Ceci mérite d'être souligné à l'heure où beaucoup s'interrogent sur le moyen de développer la recherche dite « translationnelle », recherche qui est censée conduire à des innovations. En fait, il n'y a pas de recherche « translationnelle » qui ne s'appuie sur une recherche dite « fondamentale ». Prenons l'exemple d'un des tests que nous avons développé et qui est maintenant utilisé chaque année par plusieurs millions de patientes ou de patients. Ce test mesure le taux de procalcitonine (PCT) dans le sang et sert notamment pour le dépistage d'infections bactériennes chez les malades présentant une infection pulmonaire basse. De telles infections sont responsables de 10 % de la mortalité mondiale et de 75 % de l'utilisation des antibiotiques. Une équipe suisse a démontré et publié dans le LANCET (Christ-Crain M et col. Lancet. 2004 ; 363 : 600-607.) que le dosage de PCT permet de diminuer la consommation d'antibiotiques d'environ 50 % en cas de pathologie pulmonaire basse, d'où le succès mondial de notre test qui a fait l'objet de 900 publications scientifiques depuis sa description. L'origine du dosage de PCT est pourtant peu connue et mérite d'être rapportée. En fait, la technique utilisée dérive de travaux effectués par mon équipe de recherche à la fin des années 80 et publiés en 1987 dans Journal of Immunology (Ghillani P et col. J.Immunol. 1987 ; 138 : 3332-3338). Nos résultats démontraient pour la première fois qu'un anticorps est capable de distinguer une seule fonction chimique. À l'époque, aucun d'entre nous n'imaginait que ces travaux allaient mener 20 ans plus tard à un test utilisé dans le monde entier. Vingt ans… Cela souligne l'importance de la persévérance ! Le long délai entre les premiers résultats observés au laboratoire et le développement de produits innovants n'a pas échappé à notre secrétaire d'État au Commerce extérieur : cette semaine, Hervé NOVELLI a rappelé que, compte tenu du délai entre la découverte et l'innovation, il faudrait un temps certain pour que l'effort de recherche qui doit être faite en France contribue à l'émergence d'innovations… et à l'amélioration de notre balance commerciale.

Autre enseignement, nos résultats en recherche et en innovations sont indubitablement liées à l'appartenance de nos cinq enseignants chercheurs au monde universitaire et au monde hospitalier. Ainsi, cette double appartenance permet d'effectuer à l'université les travaux de recherche les plus fondamentaux avant de transférer les résultats de ces travaux au niveau des malades grâce à notre appartenance hospitalière.

Et l'avenir…

Ceux qui, comme Thierry ou moi-même, ont vécu et travaillé aux États-Unis savent que, dans ce pays comme aujourd'hui en France, l'important n'est pas ce que l'on a fait mais ce que l'on est capable de faire. Alors oublions le classement des chercheurs, les articles scientifiques publiés et les tests réalisés puisqu'ils appartiennent déjà au passé. Ce passé a tout de même un intérêt, celui de donner une certaine expérience pour développer et réaliser de nouveaux projets. Alors que faisons-nous ? Fort des travaux réalisés en recherche fondamentale au cours des dernières années, Thierry et moi pensons être en mesure de développer de nouveaux tests. De plus, nous sommes rejoints par Virginie DANGLES-MARIE qui, en collaboration avec Sophie RICHON et sur des bases similaires, interface, persévérance, originalité, réalise actuellement des travaux de recherche porteurs d'innovations. Virginie et Sophie en collaboration avec plusieurs équipes dont celle de Marie-France POUPON, une des meilleures spécialistes du processus métastatique, et celle du professeur Marc POCARD, chirurgien à l'hôpital Lariboisière, ont mis au point des modèles expérimentaux originaux. Ces modèles sont maintenant utilisés pour l'étude du processus métastatique et pour la sélection de nouveaux médicaments ciblant les métastases. À nouveau, le transfert des résultats en clinique va être accéléré par les étroites collaborations qui sont établies entre notre laboratoire universitaire et les services hospitaliers, au premiers rangs desquels se trouvent le service de médecine nucléaire du docteur Alain PECKING au centre René Huguenin et le service d’Hépato-gastroentérologie du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, service dirigé par Thierry POYNARD.

Ces perspectives nous rendent raisonnablement optimiste pour le futur, d'autant qu’un événement attendu et un rêve contribuent à cet optimisme. L'événement attendu serait l'arrivée d'un nouvel enseignement chercheur avec un profil hospitalo-universitaire qui serait en parfaite adéquation avec nos profils (pour les étudiants en pharmacie, ce nouvel enseignant viendrait remplacer le professeur Jean-Michel BIDART qui a rejoint la faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry). Le rêve serait que soient respectées les recommandations faites par les auteurs de l'étude sur la recherche biologique et médicale en France. Une de leurs recommandations est de favoriser « les grands instituts multidisciplinaires abritant de nombreuses petites équipes, réunies autour d'un projet précis de trois à quatre ans, largement dotés et réunissant un à trois chercheurs entourés d'étudiants.. ». N'est-ce pas ce qui se fait à la faculté des sciences pharmaceutiques et biologiques de Paris, et à une autre échelle, dans notre laboratoire ? Une autre suggestion faite par les auteurs de l'étude nous paraît forcément intéressante : En toute logique, les auteurs de l'étude recommandent de donner à la cinquantaine de chercheurs « hors normes » « une liberté d'action totale et des moyens pratiquement illimités pour rivaliser avec leurs concurrents de Boston, de San Diego ou de Londres ». Alors rêve ou réalité ? L’avenir nous le dira. En attendant, vous qui êtes étudiants dans notre faculté, n'hésitez pas à venir nous voir. Vous verrez, l'atmosphère est intéressante et nous avons au mur un très beau poster où il est écrit en grand : « On n'arrête pas un rêve qui marche ». Alors rêvons et marchons !

Bonne soirée et bon dimanche

Aucun commentaire: